L’année de mes vingt ans, je suis partie en volontariat au Kenya pendant six mois. J’y ai été enseignante dans une école primaire et secondaire pour filles à la campagne. Je vivais à la ferme. J'ai aujourd'hui trente ans.
Ce projet de volontariat accompagné par une ONG n’avait a priori aucun rapport avec les études dans lesquelles je m’étais lancée jusque-là. Il s’agissait donc d’une année de «coupure», du moins en apparence. Il n’a pas vraiment été compliqué de relier le travail sur place à mes domaines de prédilection et il se trouve que je suis même devenue professeure en collège depuis, un métier que j'aime par-dessus le marché. L’aurais-je été sans cette expérience? Je ne le saurai jamais. Toujours est-il qu’il y a parfois du sens à se détacher temporairement d’un chemin tout tracé dans les jeunes commencements d’une carrière.
Dix ans après, j’ai décidé de rassembler les mails collectifs que j’écrivais là-bas à mes proches, ainsi que mes aquarelles, afin d’en faire un recueil illustré. Je n’étais d’ailleurs pas préparée à ce que ces messages que je prenais un temps fou à taper au cyber café du coin reçoivent une si vaste lecture. Il a été difficile de reprendre ces écrits sans vouloir tout raturer et en tâchant d’en préserver la fraîcheur et la candeur de mes vingt ans. Ayant pris un certain recul face à cette aventure – il va de soi que je ne ferais-dirais-penserais-dessinerais plus du tout les choses de la même manière aujourd'hui – il me paraissait néanmoins important d’assumer les élans de naïveté qui jalonnent ces écrits et les scories stylistiques dues à la forme «mail».
En aucun cas, de fait, Le canard kenyan prétend être une œuvre littéraire. Il est - à la juste mesure de cette petite personne avec un pied seulement dans l'âge adulte – un regard neuf posé sur un ailleurs, tentant au mieux de ne pas sombrer dans des abysses d’émerveillement ou d’apitoiement vis-à-vis d’une contrée où les médias ont vite fait de résumer les choses à l’emporte pièce. Il s’agit bien là de ce qui peut traverser une jeune fille qui s'en va fureter à des milliers de kilomètres de ses représentations initiales.
Et puis on part là-bas en ayant des girafes et des éléphants plein la tête, alors que sur place, ce sont finalement les canards et les poules de notre enfance qui étoffent le quotidien.